Contrairement au système des castes spécifique à l’hindouisme, qui a fait l’objet de nombreux débats anthropologiques, la « caste » dans l’islam sud-asiatique n’a pas fait l’objet d’autant d’attention de la part des spécialistes du sous-continent indien. Or, dans cette région du globe qui offre aujourd’hui la plus forte concentration de musulmans (environ 480 millions), l’Inde se distingue nettement de ses voisins immédiats comptant une minorité musulmane par son poids démographique. Elle rassemble en effet près de 140 millions d’individus, soit 13,4% de la population d’après les résultats du recensement de 2001, faisant de l’Inde le troisième pays musulman après l’Indonésie et le Pakistan où l’islam prédomine très largement [1].
L’organisation sociale des musulmans indiens, bien que présentant des caractéristiques générales communes avec les sociétés arabe ou moyen-orientale (patrilinéarité, lignage, mariage), se distingue néanmoins de celles-ci par les catégories vernaculaires de la caste auxquelles elle renvoie. Elle n’est toutefois que partiellement assimilable à la caste des hindous qui, elle, repose avant tout sur des critères de pureté rituelle et de hiérarchisation propres à l’hindouisme. L’opposition entre l’islam égalitaire et l’hindouisme hiérarchique fut pendant un temps la pierre angulaire du débat entre les pro- et les anti-dumontiens. De nombreuses études ont montré que la société musulmane était elle aussi fortement hiérarchisée et divisée en groupes sociaux de statut différent.
Cet article propose de revenir sur cette apparente réappropriation d’une institution spécifiquement hindoue par les musulmans d’Asie du Sud. Après avoir rappelé comment fonctionne ce système de stratification statutaire particulier, et comment l’islam sud-asiatique s’est fabriqué un corpus de sources de légitimation de l’ordre social musulman, nous reviendrons sur la façon dont il a donné lieu à un certain nombre de luttes de classement. Enfin, nous achèverons cette introduction à la caste chez les musulmans en présentant les débats autour de l’éventuelle inclusion des musulmans à la politique de réservation (quotas) du gouvernement indien.