“Les imbéciles n’apprennent que par l’expérience” (Voltaire)

Manuel de Diéguez

 

1– La démocratie et la pensée

A l’heure où la droite range ses troupes en ordre de bataille et bourre de poudre à canon ses plus vieilles bouches à feu, la vie politique de la France manque visiblement des munitions de la pensée rationnelle que Voltaire avait déposées dans les arsenaux de la révolution universelle à venir; car si l’homme d’Etat est condamné à attendre que le champ de bataille de l’histoire de l’humanité l’ait informé de la pertinence de sa science politique, le malheureux se révèlera aussi sot qu’un éditeur qui se plaindrait de ce qu’il lui fallût attendre les verdicts du marché et même celui de la postérité pour connaître la valeur de ses auteurs. Aussi est-il fascinant, le mot du grand homme qui a stigmatisé l’expérience au point d’en réserver l’aveugle entassement aux cancres de village.

Car l’auteur de Candide écrit noir sur blanc qu’un chef d’Etat réduit au rôle d’apprenti de l’histoire et de la politique à la seule école de la succession des évènements sera un crétin que seul l’exercice du pouvoir informera, mais trop tard, des qualités cérébrales que requiert l’interprétation des circonstances au jour le jour. Autant dire que nous devons nous demander, toutes affaires cessantes, ce que l’expérience des affaires a appris à M. Nicolas Sarkozy depuis quatre ans qu’il est entré en charge et dont il ignorait le premier mot; et nous serons conduits par la main à une méditation métaphysique sur les relations que le temps vécu entretient avec le savoir réfléchi. Mais dans ce cas, notre tâche la plus ardue sera de découvrir comment le peuple français élira jamais des gouvernements savants. S’ils sont ignorants par nature et par définition avant leur entrée en fonctions, il faudra attendre patiemment qu’ils s’instruisent quelque peu à l’établi; et comme leur savoir ne saurait précéder leur maigre expérience, nous serons longtemps à errer en boiteux sur la scène du monde. Mais les philosophes prétendent que, par nature, l’intelligence prend de l’avance sur l’expérience et que l’histoire n’est jamais qu’un faible d’esprit qu’il faut pousser l’épée dans les reins afin qu’il finisse par honorer les rendez-vous que la logique du monde aura donnés à ce traînard. De son côté, un auteur anglais que Voltaire fut le premier à admirer disait que le monde est “une histoire pleine de bruit et de fureur racontée par un idiot“. Il nous faudra donc nous demander comment l’Europe naissante pèsera et soupèsera le jugement commun de Voltaire et de Shakespeare.

Un suffrage universel privé du flambeau de la vérification a posteriori des aptitudes des aveugles et des sourds comptera sur les doigts les logiciens dont les raisonnements rigoureux seront censés conduire des régiments de candidats trop modestes au chapitre de leur génie naturel à se persuader tout de suite que gouverner, c’est prévoir et que précéder les verdicts en rangs serrés des sots, c’est déjà faire usage d’un grain de raison.

2 – Les embarras philosophiques du suffrage universel

Je me souviens de la mimique de François Mitterrand à la lecture du résultat des élections présidentielles qui lui donnaient la victoire. La foule des ignorants qui dansaient autour de lui était convaincue que cet homme-là disposait de quelque connaissance de la philosophie des existentialistes sartriens, qui disaient que “l’existence précède l’essence”, donc l’expérience la pensée. Dieu seul, disait-on, voit les essences en esprit et bien avant leur bienheureuse collusion avec les substances, puisqu’il a pris modèle sur des idées pures qu’il regardait du coin de l’œil avant de créer le monde à l'”image et ressemblance” de la virginité des concepts. Mon hypothèse s’est vérifiée sans tarder : un masque césarien et calqué sur celui du ciel de la démocratie est tombé sur le visage hier jovial du démagogue, et j’ai vu le maître du peuple de la Liberté succéder à son flatteur, j’ai vu la foule respectueuse du silence et de la gravité soudaines du candidat le métamorphoser en souverain intronisé dans l’univers de la foi. Je me suis alors demandé si la fascination qu’exerce le monarque de la croyance républicaine résultait de la descente subite sur sa tête de la tiare et de la châsse de l’expérience ou si c’était l’auréole de l’intelligence conceptuelle de l’histoire et de la politique que le suffrage universel faisait soudainement flotter sur son crâne auguste.

Vingt-six ans plus tard, tout le monde a pu constater de visu une autre transfiguration merveilleuse, celle d’un candidat que le peuple avait introduit par surprise à la cour. A peine élu, M. Nicolas Sarkozy a couru au temple du Fouquet’s, où il a fêté son intronisation somptueuse dans le luxe et la liesse d’un joueur heureux d’avoir décroché à la force du poignet le gros lot qu’on appelle la France; et, dès le lendemain, ce batailleur honorait sur le yacht d’un milliardaire de ses amis l’onction populaire dont la République l’avait revêtu. Etait-ce dans l’euphorie du néophyte que son intelligence l’appelait à plier sous le faix des devoirs attachés à sa charge ou bien se prélassait-il dans l’appréhension et l’angoisse d’un homme inexpérimenté et condamné à s’initier si tard aux arcanes du monde? Est-il encore temps, la cinquantaine passée, de retourner sur les bancs de l’école et d’apprendre dans les manuels scolaires les secrets les mieux gardés des Etats et des nations?

Mais si la démocratie est une coquette ou une courtisane qui attend de ses soupirants trente ans d’apprentissage de l’art des fleuristes de composer des bouquets, on comprend que seule l’expérience de tant de siècles de combats dans l’arène du temps enseignera à l’homme d’Etat quelques rudiments du métier des Talleyrand et des Vergennes.

3 – Guérit-on de l’esprit de servitude ?

Et pourtant, l’adage de Voltaire ne soulève pas encore la question philosophique de savoir si l’inexpérience des élus du peuple sur la scène internationale est le pédagogue réservé aux imbéciles guérissables. Leur éducation à l’école de leurs échecs leur permettra-t-elle de se passer toujours des armes de la raison et de l’intelligence, ou bien, tout au contraire, la pratique ouvrière des affaires change-t-elle l’artisan des sots assis à son établi en formateur des experts de l’ignorance politique et des spécialistes futurs de leurs désastres? Autrement dit, la connaissance des ressorts des catastrophes de la bêtise est-elle un maître habilité à vous introduire dans les coulisses du théâtre du monde et de vous asseoir à la table des grands? Dans ce cas, une science des expériences exemplairement désastreuses suffira-t-elle à former un chef d’Etat ou bien demeurera-t-elle inapte, à la manière des joueurs d’échec sans talent et qui n’apprendront rien de se faire battre mille fois par un grand maître? M. Nicolas Sarkozy n’a pas tiré de ses revers des conclusions universelles et réfléchies sur le noble jeu, bien au contraire: quatre ou cinq rebuffades de M. Barack Obama ne lui ont rien enseigné, et pas même qu’à servir un plus puissant que soi, il ne vous paiera jamais de retour, mais qu’il tiendra toujours les services que vous croirez lui avoir rendus non seulement pour des preuves d’un esprit d’allégeance inné, mais pour le sceau d’une servitude à exploiter au mieux.

Mais peut-être l’homme d’Etat privé de réflexion naturelle et de connaissance rationnelle de la politique et de l’histoire du monde tirera-t-il du moins des conclusions savantes des malheurs de ses prédécesseurs immédiats, puisqu’il ne partagera en rien la responsabilité des fautes dont il lui appartiendra seulement de gérer les conséquences. C’est ainsi qu’à la suite de l’attentat du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center de New-York, on a vu au grand complet le peloton des chefs d’Etat ignorants que la démocratie mondiale hisse au pouvoir prendre à la lettre l’ article du traité de l’Alliance atlantique de 1949 rédigé à l’intention des enfants de chœur de ce temps-là, selon lequel les Etats signataires courront les armes à la main et sans perdre un instant au secours d’un seul d’entre eux qu’un petit méchant aura agressé. Sans doute l’Amérique avait-elle obéi à ce modèle de la modestie politique, et cela non point seulement depuis 1949, mais également en 1944. Résultat: quand le Pygmée américain fut vilainement assailli par le géant de Kaboul, les sept nains de Blanche Neige se sont rués sur les lieux.

M. Sarkozy a-t-il tiré les conclusions de l’affligeant spectacle que les Etats-nains de l’Europe avaient présenté en 1991, quand leur metteur en scène les avait angéliquement alignés sur le perron de la Maison Blanche à la suite de la première guerre du Golfe ? A-t-il tiré a posteriori la leçon de l’humiliant théâtre des Etats qui se sont précipités au secours de l’empire américain attaqué par le Titan de Bagdad en 2003, puis se sont trouvés réduits à battre piteusement en retraite aux côtés du géant vaincu?

4 – Le savoir précède l’expérience

Voltaire ne nous raconte pas ce que l’expérience de l’histoire enseigne aux imbéciles de la politique. En l’espèce, ces derniers auraient dû apprendre qu’il existe une différence immense, tant de condition que de taille, entre, d’une part, les Etats moyens courant à toutes jambes et tout essoufflés aux côtés d’un géant afin de paraître partager ses victoires et, d’autre part, les Etats souverains qui se prêtent main forte librement et sans arborer la livrée d’aucun d’entre eux dans des guerres défensives communes. Mais en 2008, M. Nicolas Sarkozy a stupidement couru en Afghanistan, où il a augmenté le nombre de nos supplétifs, alors que la situation avait entièrement changé sur le terrain ; et maintenant, il promet gentiment à un empire étranger en déconfiture que la France suivra pas à pas la retraite d’Alexandre, afin de ne pas offenser par quelque réticence sa participation pleine et entière à la Bérézina d’un maître pourtant en perdition sur tous les champs de bataille.

Il ne suffira donc pas de rappeler aux hommes d’Etat inaptes par nature que les imbéciles n’apprennent jamais que par l’expérience de leurs fautes; encore faut-il se demander ce qu’ils apprendraient de leurs erreurs dans le cas où l’expérience parviendrait à leur enseigner quelque chose; car il faut déjà oser recourir à son intelligence, si faible qu’elle soit demeurée, donc apprendre quelque peu à “penser par soi-même”, comme disait Voltaire, pour seulement s’apercevoir ensuite de ce que, depuis 1945, la démocratie européenne s’ est auto-vassalisée de la tête aux pieds et qu’elle a servi complaisamment de domestique à un empire d’au-delà des mers.

Le premier devoir de tout Etat souverain le contraint à se défendre tout seul contre un agresseur. Il y va de son intérêt le plus essentiel, parce que sa dignité sur la scène internationale passe par la démonstration de sa confiance en ses armes. S’il appelle un autre Etat à son secours, c’est qu’il en est réduit à l’extrémité de reconnaître son impréparation à la guerre, donc son impuissance à remporter la victoire sans l’aide d’un tiers. Dans ce cas, il doit savoir qu’il paiera cher son infirmité. Bien plus : si le secouriste au grand cœur se présente en artisan exclusif ou principal de l’issue triomphale du conflit, il en récoltera sans partage les lauriers; et il vous asservira de surcroît et pour longtemps à une victoire remportée à son seul avantage.

Or, rien ne dit à quel moment l’expérience de l’homme d’Etat médiocre sera suffisamment avancée pour le faire accoucher d’une philosophie entière de l’histoire et de la politique. Pis encore : il se peut fort bien qu’il n’aura rien compris à l’école de ses propres cogitations, parce que la raison véritable précède les évènements et les connaît toujours d’avance, comme il est démontré depuis la parution de l’Introduction à la médecine expérimentale de Claude Bernard en 1865, qui a définitivement établi que l’hypothèse scientifique précède toujours l’expérience, dont le rôle subalterne se réduit à la vérifier.

5 – L’opinion publique devient un interlocuteur politique

Mais le génie politique de Voltaire n’a pas fini d’en appeler à la réflexion de l’homme d’Etat et de l’historien au chapitre des relations que l’expérience entretient avec la raison et avec l’intelligence. Car tous les Etats démocratiques du monde se trouvent à la veille d’assister à une expérience comparée de l’intelligence propre à l’opinion publique actuelle et de celle qui appartient aux gouvernements. Jamais encore notre astéroïde n’avait assisté à un spectacle aussi hallucinant que celui du blocus d’une ville de dix-sept cent mille habitants par un Etat microscopique, jamais encore le temps des hommes n’avait présenté sur la scène un drame aussi éloquent aux yeux de toute l’humanité assise les bras croisés au balcon de l’Histoire. Le scénario s’était préparé en plein jour – une flottille de secouristes entendait accourir toutes voiles dehors et pour la seconde fois sur les lieux du sinistre. Quelle occasion nouvelle d’observer les relations que les Etats entretiennent avec deux personnages soudainement aussi embarrassés l’un que l’autre, l’expérience et l’intelligence!

Athènes se trouvait livrée à la déroute de son modèle économique, financier et bancaire, mais elle pouvait encore sauver la mémoire de sa grandeur de génitrice de la démocratie mondiale ; la terre entière se demandait si elle prendrait rendez-vous avec son passé glorieux et avec son avenir à nouveau grand ouvert. Mais quel spectacle que celui de la cité de Périclès domestiquée aux côtés de l’Europe asservie, quel spectacle que ce double vasselage sous le joug de la Judée, quel spectacle que celui de l’opinion publique indignée par l’étalage de la servitude de la planète, quel spectacle que celui du débarquement des peuples en colère et décidés à prendre la haute main sur l’histoire de l’éthique du monde, quel spectacle que celui du déshonneur de tous les gouvernements de la terre!

Mais que faire d’une Grèce dégénérée et qui n’était demeurée une démocratie qu’en apparence, que faire d’une tribu bicéphale dans laquelle le clan des Papandréou et celui des Karamanlis exerçaient alternativement un pouvoir marqué du sceau d’une médiocrité à deux visages, le vaincu d’un instant sachant que l’usure rapide du vainqueur fera basculer le suffrage du peuple à l’école d’un éternel va et vient. Le temps d’une absence bien calculée permet à nos jumeaux d’assurer l’aller et retour du pendule. Et pourtant, jusque dans l’oubli de la grandeur d’autrefois de la nation, on peut imaginer une dernière oscillation du battant du métronome qu’on appelle l’histoire.

6 – Le naufrage d’Athènes

“Athéniens, un trop long asservissement à l’empire du Croissant a brisé nos intelligences et asservi nos âmes au glaive de l’étranger. Mais souvenez-vous de la levée de l’Europe de la raison et de la pensée du XIXe siècle: nous devons à Londres, à Paris, à Rome, à Madrid, les retrouvailles de notre patrie avec sa souveraineté et la résurrection de notre Etat sur la scène du monde. Un Byron, un Shelley, ont été les porteurs de la voix de la Grèce. Nous devons à des poètes venus d’ailleurs la renaissance de notre génie.

” Et maintenant, Athéniens, abandonnerons-nous à son sort malheureux une Europe asservie, laisserons-nous sans voix la civilisation de la liberté que nos pères ont apportée au monde, affamerons-nous aux côtés des barbares une ville de dix-sept cent mille habitants ou bien, du plus profond de l’abîme dans lequel notre lassitude nous a précipités, appellerons-nous la mémoire de nos morts à renaître dans nos cœurs et les descendants de Salamine à délivrer l’Europe de ses chaînes, nous laisserons-nous réduite à la cendre et à la poussière, alors que le destin nous donne rendez-vous pour la dernière fois de notre histoire? Songez Athéniens, que Pékin, Tokyo, New-York, Londres, New-Delhi, Berlin, Paris, Moscou, Buenos Aires ont les yeux fixés sur l’Acropole; songez que toutes les nations du monde font de nous les derniers témoins du trépas ou de l’éternité d’Athéna.

” Longtemps nous sommes demeurés les pédagogues du monde et les guides de toutes les cités civilisées, et maintenant la Judée se fait l’artisan de nos propres funérailles parmi les sauvages. Sachez, Athéniens, que jamais elle ne se trouvera effacée de la mémoire de l’humanité, la honte de notre démocratie si nous assistions en complice et sans voix au blocus d’une immense cité, songez, Athéniens, que nous ne sommes plus seulement les témoins hallucinés d’une infamie: l’Europe et Israël nous demandent de renier nos héros, l’Europe et Israël nous demandent de faire taire le génie de la Grèce.”

7 – Le retour en Ithaque

” Mais vous n’avez pas le choix, Athéniens. Autant la mémoire de la Grèce paraissait éternelle, autant la souillure et l’abaissement de notre nation seront ineffaçables, parce que les peuples profanateurs de leur gloire rendent la trace de leur chute plus indélébile que celle de leur ascension à l’immortalité. Vous vous trouvez à la croisée des chemins de la civilisation mondiale. Souvenez-vous que la grandeur passée de notre nation est un trésor sans prix, souvenez-vous de ce qu’il y a davantage d’humiliation à le perdre que de mérite de l’avoir arraché à la nuit, souvenez-vous, Athéniens, que vos descendants seront jugés de siècle en siècle à l’aune de votre seule génération, parce que le destin aura mis entre vos mains le casque, la lance, et le rameau d’olivier d’Athéna aux yeux de toute la terre habitée. La déesse vous demande de préserver les attributs éternels de l’esprit de votre salissure dans la vassalité.

” Mais il y a plus, Athéniens: un dieu nouveau est descendu il y a quatorze siècles sur la terre et les fidèles de son ciel sont plus riches de l’avenir du monde que les Perses de Darius et de Xerxès. Que nous demandent-ils? Qu’un peuple de leur dieu retrouve son Ithaque, qu’un peuple de leurs frères entende la voix du retour. . Athéniens, j’attends de vous que vous lanciez le pont de l’Hellade vers l’avenir du monde, j’attends de vous que vous preniez en mains le gouvernail du retour d’Ulysse dans ses foyers, j’attends de vous que vous redeveniez l’avant-garde de l’humanité.”

8 – Vous ne demeurerez pas seuls longtemps

” Mais ne croyez pas que vous demeurerez seuls longtemps, parce que l’Europe asservie à la Judée et au Nouveau Monde s’est lancée dans une double aventure, l’une et l’autre plus folles et plus dangereuses que celle de Darius et de Xerxès. La première est celle des esclaves qui vous demandent de violer le droit international, qui n’autorise en rien un Etat de Union européenne à retenir par la force dans l’un de ses ports les navires d’un allié. Le chef d’Etat dégénéré que vos suffrages ont porté au pouvoir met la Grèce au ban du droit international public. Mais, du coup, son illégitimité est pleine et entière; et vous êtes en droit non seulement de le destituer, mais de le citer à comparaître pour haute trahison devant nos tribunaux. De plus, les peuples que notre gouvernement a lésés vont saisir la cour de justice et Athènes sera condamnée pour insulte et outrage aux principes de la démocratie.

” Secondement, le traître à notre civilisation qui vous gouverne a fait valoir qu’il craignait qu’Israël fît couler le sang des matelots étrangers venus pacifiquement alimenter les affamés de Gaza. Le rameau d’olivier d’Athéna n’est ni appelé à protéger des tueurs, ni à fuir devant eux. Notre gouvernement ne macule pas seulement le droit international, il foule aux pieds la morale internationale. Voilà pourquoi, mes chers concitoyens vous n’êtes pas seuls, voilà pourquoi, Athéniens, les armes de l’intelligence et celles de l’expérience sont de votre coté.”

9 – La Pythie est de retour

Hier encore, de nombreux gouvernements se disaient de bouche à oreille: “Voici que l’opinion des peuples se change soudainement en un acteur de grand poids sur le théâtre de l’histoire. Si nous la laissons jouer le premier rôle sur les planches, comment défendrons-nous les prérogatives de théâtre qu’il appartient aux Etats de se partager entre eux? Est-ce à l’opinion publique de s’installer aux commandes du globe terrestre? Est-ce aux peuples de s’emparer du gouvernail de la mappemonde? Est-ce à la rue qu’il appartient de régner en reine sur l’éthique de l’humanité ? Nous sommes les monarques que le suffrage populaire a placés au timon des affaires. Jamais nous ne nous laisserons déposséder de l’obéissance qui est due à nos sceptres.”

D’autres s’exclamaient: “Nous autres, les gouvernements, resterons-nous les bras ballants au spectacle de cette tragédie? Alors, les peuples cesseront de croire aux bienfaits et aux vertus dont se vante la démocratie dans le monde entier. Quelle autorité conserverions-nous sur nos concitoyens si nous nous déconsidérions aux yeux du droit et des lois? Allons-nous périr sous les décombres d’une civilisation, qui avait fait de la Liberté sa lanterne?”

Mais les penseurs et les peseurs de la politique, eux, tenaient un discours de l’intelligence et de la logique; et leur raison racontait d’un trait la succession des évènements qui allaient inévitablement se dérouler sous les yeux des lecteurs de Voltaire. “Ce que l’expérience elle-même va démontrer, disaient-ils, notre dialectique le contemple avec une certitude déductive égale à celle qui accompagne les démonstrations de la géométrie; car aucun peuple au monde ne saurait prétendre défier ensemble les lois de la morale et celles de la logique, aucun peuple ne saurait prétendre occuper conjointement son ciel au nom de Jahvé et ses terres par la force de son glaive, parce que les gloires de ce bas-monde et celles des dieux se sont définitivement séparées. L’espérance de les associer est devenue contraire aux lois de l’histoire et aux contraintes de la politique depuis Titus et Vespasien.

Comment une démocratie ennemie des principes de la justice et du droit légitimerait-elle aux yeux de la conscience universelle l’expulsion par la force, soixante trois ans auparavant, de sept cent cinquante mille paisibles habitants de leur pays, comment un Etat du XXIe siècle bénéficierait-il à l’usure du droit à l’expansion guerrière sans fin, alors que notre astéroïde s’est converti à la décolonisation? Aussi, de Rabat à Tunis, du Caire à Damas, de Ryad à Sana, quatre cent millions d’Arabes arrachés au sommeil se réclament-ils de la démocratie. Jamais l’intelligence politique ne s’est vue contrainte à ce point de précéder l’expérience. La pensée est visionnaire, la pensée connaît le cours fatal de l’histoire parmi les aveugles et les sots. Eh bien écoutons cette Pythie raconter la comédie aux cent actes divers qu’on appelle le destin.

10 – Les premiers pas de l’intelligence politique

Dans un premier temps, tous les gouvernements tenteront de fonder en droit et de proclamer souverain l’Etat palestinien dont les Nations unies avaient annoncé la venue en 1947. Alors l’horizon paraîtra un instant s’élargir, mais vainement, parce qu’un peuple microscopique, démilitarisé et condamné à qualifier ses résistants et ses libérateurs de terroristes échouera à se présenter réellement et durablement sur la scène internationale. Puis l’échec de sa légitimation truquée fera croire quelque temps aux rêveurs invétérés à la possibilité de fonder sur cette terre une nation fantasmatique et toute formelle. Mais le constat de la quadriplégie native d’un Etat tout imaginaire commencera d’ouvrir les yeux des expérimentateurs les plus bornés; et leur intelligence, même condamnée à demeurer embryonnaire, se trouvera éclairée d’une minuscule lueur, mais suffisante pour leur permettre de comprendre qu’il n’y aura jamais d’Etat-fantôme sur la terre.

Alors nous nous trouverons à un tournant décisif de la réflexion des descendants de Voltaire; car ils méditeront à nouveaux frais sur les pouvoirs et les devoirs respectifs de l’expérience et de l’intelligence politique. Qu’en est-il, se demanderont-ils, du pilotage conjugué de l’histoire sous la responsabilité des Etats d’un côté et de l’opinion du monde entier de l’autre? Certes, penseront-ils, les peuples sont longtemps demeurés à la traîne; certes, se diront-ils, les gouvernements exerçaient une manière de monopole du guidage de l’humanité. Mais, depuis la Révolution française, les foules ont progressivement pris le dessus, parce que la presse et l’image ont commencé de mettre l’histoire des nations en prise directe avec les évènements.

Or, les Etats se trouvent à un tournant décisif des relations que l’opinion des peuples entretient avec leurs gouvernements, parce que ces derniers peinent et piétinent à rivaliser avec l’instantanéité de l’information dont bénéficient les masses. L’image télévisée, portée pour des voix, tiendra en mains les leviers tant mécaniques que cérébraux du destin. Du coup, la notion même d’expérience politique se trouvera bouleversée.

L’homme d’Etat habitué à prévoir les évènements à l’école et à l’écoute de sa réflexion jouissait de l’avantage de connaître d’avance les voies et les chemins coutumiers que la cécité naturelle du genre humain empruntait nécessairement. Il était évident, par exemple, que la France ne se résignerait pas à se trouver dépossédée à jamais de l’Alsace et la Lorraine, il était évident, par exemple, que l’utopie édénique des marxistes se heurterait tôt ou tard à la nature peu évangélique de ce bas monde, il était évident, par exemple, que l’Amérique triomphante de 1945 tenterait de déglutir démocratiquement les proies que tout souverain se réserve dans le sillage de ses victoires et dont une religion de la délivrance et du salut par la candeur des citoyens était censée expérimenter les rédemptions.

En revanche, Israël rétrécit de plus en plus le champ du prévisible et du probable traditionnels dont la lucidité d’un chef d’Etat chevronné disposait autrefois. Les abîmes de l’imprévisible se sont ouverts tout grands; et la réflexion sur les relations nouvelles que l’expérience entretient avec l’intelligence étend les horizons de la mort. D’un côté, les peuples poursuivent leur lente et patiente progression sur le chemin de l’autorité inattendue que leur omniprésence médiatique leur accorde, de l’autre, un astéroïde rapetissé par l’ubiquité soudaine de l’information se transforme en un tapis volant. Jamais encore des flottilles de secouristes n’avaient menacé de s’emparer de l’histoire du monde et cela précisément en raison de l’échec de leur entreprise sous le regard indigné de tous les peuples de la terre, jamais encore les Etats n’avaient risqué à ce point de perdre les restes de leur autorité morale, donc le fondement même de leur légitimité aux yeux du genre humain tout entier désillusionnés et soupçonneux à bon escient.

11 – La course vers le tragique

Mais, dans le même temps, la méditation des grands hommes d’Etat sur la notion même d’expérience se heurte à son tour à des obstacles nouveaux et inconnus jusqu’à ce jour. D’un côté, comment les gouvernants du monde entier confesseraient-ils leur inexpérience et leur cécité, donc leur culpabilité pleine et entière, eux qui découvrent qu’ils ignoraient la nature même du tragique de l’histoire? Car même si, en 1947, Israël n’a nullement obtenu l’assentiment réel d’une majorité de la sottise à l’assemblée des nations unies, même si la prévarication, la corruption et le chantage ont permis au peuple élu d’acheter les voix de l’inexpérience au sein de l’Assemblée des nations unies de l’époque, le temps est un maçon qui cimente l’erreur politique et la durcit au point de la rendre incassable.

Si les fautes les plus évidentes de l’humanité pouvaient se trouver effacées à l’école des confessionnaux de la sottise des Etats, si l’histoire pouvait laver les taches des gouvernants à l’écoute de leurs repentirs, si l’innocence se retrouvait immaculée au sortir de l’enfer dans lequel son inexpérience l’a précipitée, les religions reviendraient elles aussi, et publiquement, sur leurs décisions doctrinales et leurs miracles les plus déments, et l’on verrait la folie des dogmes sacrés se trouver réfutée en un tournemain. Mais il est impossible d’effacer les ravages cérébraux que l’alliance du ciel et de la terre a cultivés des siècles durant. On ne comble pas d’une pichenette trois millénaires des sillons que l’erreur a creusés dans les têtes. Aussi Israël fait-il remarquer, moqueusement au besoin, que son Etat existe en chair et en os et que sa terre est inscrite au cadastre des nations. Comment gommer les fautes de grammaire de l’ histoire du ciel et de ses arpents confondus.

12 – L’expérience, cette inconnue

C’est ainsi que la réflexion sur l’adage de Voltaire dévoile une face inconnue de la mémoire du monde; car il est inutile de souligner que “les imbéciles n’apprennent que par l’expérience” si nous ne savons plus ce que l’expérience future réservera à la planète et si l’auteur de Candide nous demande maintenant de conduire l’esprit prophétique à une réflexion anthropologique sur la notion même d’expérience historique.

Et voici que les apories de la raison politique viennent à point nommé dessiner les contours cérébraux du tragique de demain. Que nous apprend l’intelligence politique à venir? Que s’il est impossible aux chefs d’Etat de jamais combattre efficacement des dogmes religieux redoutables avec le secours de raisonnements mieux ajustés que ceux auxquels un peuple doit ses triomphes dans un ciel conquérant, il sera plus difficile encore de combattre un Etat illégitime avec les arguments calibrés du droit international public, parce qu’aucun Etat de ce monde ne se met à l’écoute des juristes de la démocratie onirique.

Il est donc demandé aux hommes d’Etat de demain non point de laisser en friche la question de la nature de l’intelligence proprement politique de l’humanité, mais d’éclairer les relations futures de la raison avec l’expérience à laquelle Israël contraindra le monde à s’initier. Car nous savons tous qu’Israël ne renoncera jamais au messianisme dont la spectrographie anthropologique demeure cachée dans nos laboratoires secrets , nous savons tous qu’Israël n’évacuera jamais la Cisjordanie, nous savons tous que jamais Israël ne laissera des millions de descendants des réfugiés de 1947 se réinstaller sur la terre de leurs ancêtres, nous savons tous qu’Israël demeurera à lui-même une hostie à laquelle la Bible servira de temple, nous savons tous que l’Islam ne sera pas en mesure avant longtemps de porter les armes contre les élus de Jahvé, nous savons tous que le monde arabe est en marche et que son réveil conduira la planète entière à un gigantesque affrontement entre les idéaux de la démocratie et les droits d’un peuple mythologique, nous savons tous qu’à la dernière extrémité, le peuple élu brandira la menace d’une apocalypse dont il tient les clés en mains depuis longtemps, nous savons tous que la perspective d’une auto-pulvérisation nucléaire fait d’ores et déjà courir notre astéroïde vers un Massada planétaire, nous savons tous que le chancre de la mort qui nous guette s’envenime et grossit de jour en jour et que le genre humain vit dans l’attente que la gangrène envahisse notre espèce tout entière.

Convier l’intelligence des Etats à observer sur la cécité et la surdité du monde actuel, c’est les convier à peser les formes ultimes de l’expérience de la mort; car si les imbéciles de Voltaire invoquent la déesse Expérience, ils seront appelés à méditer sur la forme suprême de la politique, celle du suicide messianique. Quand l’Israël eschatologique et rédempteur apostrophera l’humanité, ses prophètes emprunteront la voix de Jahvé: “Qui êtes-vous, diront-ils? De quel droit prétendez-vous contester les prérogatives de l’Etat juif? De quel droit nous serait-il interdit de chasser de notre territoire l’intrus qui a profité de notre longue absence pour s’y incruster? Jahvé nous a donné cette terre à jamais et c’est à jamais que nous sommes devenus les élus de Jahvé.”

La démocratie mondiale, rétorquera-t-elle qu’elle est l’élue des droits de l’homme, l’élue de la justice et de la liberté du monde, l’élue de la vérité politique et que quatre cent millions d’Arabes se dressent autour de la Méditerranée pour nous demander: “Etes-vous les élus de Jahvé ou les élus de vos idéaux?”

Voilà la dramaturgie qui attend l’homme d’Etat contemporain, celui qui demandera à Voltaire: “Qu’est devenue l’expérience et qu’est-ce qui attend l’intelligence ?”

Le 10 juillet 2011

Source:http://aline.dedieguez.pagesperso-orange.fr/tstmagic/1024/tstmagic/decodage/imbeciles.htm#1

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