Dans les bouleversements qui secouent les sociétés du monde arabe, la question communautaire constitue l’une des questions majeures. L’avenir dépendra en grande partie de la capacité à inventer un nouveau contrat social et constitutionnel fondé sur la prééminence, dans l’espace public, du statut de citoyen, par la transcendance des appartenances et des identités héritées de l’histoire régionale, sans pour autant les nier, ni briser les sociétés. Dans le cas contraire, les repliements communautaires et confessionnels risquent d’accentuer la décomposition de ces dernières et constitueraient une régression majeure pour le mouvement d’émancipation politique, social et culturel.
Si cette décomposition communautaire construite sur l’exacerbation des tensions confessionnelles a été au fondement du projet de « nouveau Moyen-Orient » lancé par les néoconservateurs américains dans la foulée de l’invasion de l’Irak en 2003, elle est aussi l’un des outils dont se servent des acteurs locaux ou internationaux à des fins de puissance ou pour détourner et dévoyer les mouvements populaires qui aspirent au changement. Les communautés chrétiennes de diverses obédiences en sont affectées au premier chef.
L’exemple de l’Egypte est particulièrement significatif : aux accusations portées à l’encontre du ministre de l’intérieur du régime déchu (aujourd’hui condamné à la prison) d’avoir voulu détourner le mouvement populaire par la manipulation de l’attentat contre l’église des Deux-Saints d’Alexandrie ont répondu des manifestations communes de prêtres et d’imams. En réponse aux affrontements troubles qui se sont déroulés après la chute du régime entre Egyptiens coptes et musulmans, sur fond de stratégies partisanes et de foyers de tension récurrents dans certaine régions rurales, des voix se sont élevées, notamment aux Etats-Unis, pour réclamer une « internationalisation de la question copte ». Mais tant les autorités gouvernementales de transition que les dirigeants du mouvement populaire ont refusé ce qu’ils ont considéré comme une ingérence dans les affaires internes égyptiennes. D’autres Etats du Proche-Orient arabe sont affectés par des situations proches.
L’attentat du 31 décembre 2010 contre l’église des Deux-Saints d’Alexandrie (vingt-et-un morts) – après celui qui avait visé la cathédrale Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours à Bagdad le 7 novembre (quarante-six victimes) – avait suscité une réprobation unanime dans l’ensemble des pays arabes et dans le monde (1). Des intellectuels arabes avaient parlé de « sentiment de honte » et de « consternation » (2). Aux inquiétudes des Eglises orientales avaient fait écho les condamnations exprimées notamment par le cheikh d’Al-Azhar, l’Arabie saoudite, les Frères musulmans, des dignitaires religieux et des hommes politiques de confession sunnite ou chiite. L’ancien premier ministre libanais Selim Hoss, sunnite, avait estimé « les condamnations verbales insuffisantes » et appelé à « la tenue d’une réunion arabe afin d’arrêter des mesures pour couper court aux tentatives de discorde ». Il avait été rejoint par le Hezbollah libanais : « Les mots de la colère et de la tristesse sont dérisoires face aux tentatives sanglantes de porter atteinte à la diversité socioreligieuse dans plus d’un pays arabe, notamment en Palestine (3). »